Quelques-unes des marionnettes liégeoises traditionnelles
Une liste de 1902 répertorie plus de cinquante théâtres en activité à Liège et dans sa banlieue. Et pourtant, la première mention d’un établissement ne date que de 1860. C’est celui que dirigeait Conti, un Toscan associé au Français Talbot. Un roman rédigé peu après donne une description des lieux, du jeu et du répertoire chez leur successeur qui vaut pour les nombreux émules et concurrents.
Le public se retrouvait quotidiennement dans la plus grande pièce d’habitation du montreur. Paradoxalement les marionnettes paraissaient à la fois hiératiques et familières. Elles étaient entièrement de bois sculpté.
Progressivement, les têtes, les membres, les armures gagnèrent en raffinement. Il n’y avait de fil à la main qu’en cas d’absolue nécessité. La taille des personnages était socialement très marquée et chez le petit peuple, normalement habillé, seule la tête était sculptée.
C’est de ce petit personnel qu’allait se détacher la figure de Tchantchès, populaire factotum bientôt reconnu symbole de l’esprit wallon. Le répertoire faisait la part belle à Charlemagne, natif du lieu : Berthe au Grand Pied, La Mort de Roland, Les quatre Fils Aymon, Ourson et Valentin, Huon de Bordeaux, Roland furieux. Mais on joue aussi Li Nêssance (La Nativité), La Passion, Tristan et Iseut, La Table ronde, La Quête du Graal, La Jérusalem délivrée. Plus tard, Les trois Mousquetaires, Borgia, Les Pardaillan, ou encore : Maître Pathelin, Tåti l’Périquî, Le Lion de Flandre, Guillaume Tell, Les 600 Franchimontois, La Fleur de sainte Hélène, La Tentation de saint Antoine, Le Tour du Monde en 80 Jours, sans compter les nombreuses riyoterèyes (farces d’actualité).
Les pièces étaint jouées au canevas, ou en suivant un manuscrit, ou encore interprétées d’après un ouvrage imprimé annoté par le joueur qui y reprenait les dialogues et transposait le reste en action ou en « parlé ». Deux manipulateurs assistaient le montreur qui parlait seul pour tous les personnages et selon leur rang : français grandiloquent, liégeois bâtard, enfin dialecte wallon pur quand il s’exprimait par la bouche de Tchantchès et de ses comparses. (source UNIMA)
Quelques règles concernant les marionnettes liégeoises
Ces règles n’existaient pas au début de l’histoire des marionnettes de tradition liégeoise mais ce faisant certains marionnettistes plus importants vont imposer leurs modèles, comme ils se copiaient l’un l’autre et pour pouvoir vendre leur production aux plus de théâtre possible, certaines normes vont se fixer.
La taille : La taille de la marionnette varie selon son rang social. C’est ainsi que les gens du peuple font en-dessous de 80cm, les soldats entre 75 et 80cm, les princesses et reines entre 80 et 85 cm, les chevaliers sont autour de 90cm, les rois 95 cm et Charlemagne 1 m. Seule exception pour les nains et les géants qui ont leur taille en fonction de leur état et non de leur représentation sociale. ..
La finesse des décorations : celle-ci aussi évolue en fonction du rang social, le peuple est entièrement habillé de tissu. Les soldats ont le torse légèrement sculpé, les princesses et reine ont leur torse finement sculpté, les chevaliers ont non seulement le torse sculpté mais aussi les jambes; quant aux rois et empereurs, ils ont non seulement les jambes et le torse sculptés, mais en plus ils sont affublés de bras en bois sculpté
La représentation de certains personnages : certains personnages ont des attributs qui leur sont propres et uniques à eux.
Roland, le neveu de Charlemagne, a toujours un casque en forme de tête de lion dont la gueule est ouverte laissant apparaître le visage. Il est presque toujours habillé de rouge vif pour montrer sa fougue et sa vaillance.
Charlemage possède toujours une longe barbe et un couronne, souvent inspirée par la statue de l’empereur qui trône sur le boulevard d’Avroy à Liège. Il est presque toujours habillé en bardeau.
L’archevêque Turpin a toujours un casque en forme de mitre et une croix sur son torse.
Les 4 fils Aymon sont souvent représentés avec un casque « minerve « inspiré par les représentations de cette déesse antique. Leur armure est souvent composée d’écailles surmontées d’un visage sur la poitrine.
Maugis à un casque surmonté d’une tête de gargouille.
Pour résumé, la plupart des personnages importants possède certains attributs bien spécifiques et c’est pourquoi les anciens théâtres avaient des collections d’environs 600 à 1000 personnages, car les gens de l’époque connaissaient ces détails et il était donc impossible de leur faire endosser un autre rôle sous peine de mécontentement du public.
Mais qui es-tu Tchantchès ?
Un peu d’orthographe
Chaque pays ou région possède son personnage caractéristique, comme les emblématiques napolitains Pulcinella et Scaramuccia, Don Quichotte en Espagne, Polichinelle ou Guignol en France, Punch et Judy en Angleterre, Petroushka en Russie, Jan Klaassen aux Pays-Bas, Kasper en Allemagne et Autriche …
Pour Liège, c’est CHANCHET (1ère appellation de TCHANTCHES) Avant d’aller plus loin, il faut savoir qu’avant que l’orthographe wallonne ne soit fixée » Tchantchès » s’écrivait un peu n’importe comment soit avec au début » tch, ch, t’ch » et enfin » et, es, è, èt ou ès « . Avec toutes les combinaisons possibles.
Quand on fixa l’orthographe on prit pour Tchantchès celle gravée sur son monument crée par Zommers en 1937. Tout Liégeois est incarné dans ce Tchantchès plein de bonhomie, d’audace, de familiarité et de sérieux.
Ce bouffon, ce comique représente l’esprit populaire.
Son premier rôle…!
Le premier rôle de Tchantchès au théâtre est celui de régisseur qui annonce au public le sujet de la pièce, le remercie de son attention et présente le prochain spectacle.
C’est par son intermédiaire que le marionnettiste demandera le silence ou glissera quelques mots pour amuser l’auditoire.
Par la suite Tchantchès devint le messager de Charlemagne. Il était son commissionnaire et son portier. Le voilà donc se mêlant à l’action de la pièce. Tchantchès est devenu la marionnette la plus cocasse, la plus amusante.
Son parler et sa bonne humeur le distinguaient des autres. Il devint ainsi l’acteur préféré du public.
Tchantchès acteur
Il faut savoir que dans le temps, les théâtres possédaient plusieurs « Tchantchès ». Ce mot désignait en fait tous les personnages du « petit peuple ». Mais Tchantchès qui discute avec son public, qui rit avec lui et qui se fait interpeller sans arrêt, a été inventé par Léopold LELOUP. Ce marionnettiste, propriétaire du théâtre impérial, voulait attirer dans son petit théâtre de la rue Roture, un public plus aisé.
Il avait remarqué dans le fond de la salle un groupe régulier d’étudiants en médecine à l’hôpital du vieux Bavière, sis sur l’actuelle place de l’Yser. Mr LELOUP créa, vers 1870, un petit personnage, un auto-portrait vêtu d’une grande blouse blanche. Ce personnage nommé Tchantchès commença à discuter avec les étudiants présents. Il discutait avec eux, racontait des blagues. Les étudiants virent de plus en plus nombreux et le prirent en affection. Vu ce succès, d’autres théâtres se sont appropriés le personnage, avec plus ou moins de succès mais c’est comme cela que Tchantchès se répandit dans tous les théâtres de la ville.
D’où vient le nom de Tchantchès?
Ici aussi la polémique gronde….Officiellement le nom de Tchantchès serait un dérivé de François en wallon…ou plus exactement une altération enfantine… Mais le pas entre Tchantchès et Françwès est grand… Certains ont pensé que c’était encore une fois Conti qui aurait donné ce nom au personnage car un italien c’est un Tchitcho…et de Tchitcho à Tchantchès…
Mais cela semble un peu exagéré, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Une autre explication paraît plus vraisemblable et pourtant elle est loin de faire l’unanimité, car elle est politiquement incorrecte ! Je vous la livre tout de même. En fait ce nom viendrait de petit Jean… en flamand… En effet petit Jean se dit Jantche qui, si on le prononce à la wallonne cela devient D’jantchès…qui n’est pas loin de Tchantchès.
De plus, 3 éléments viennent appuyer cette hypothèse. 1) Remettons-nous dans le contexte de l’époque vers 1870. Il y avait énormément de flamands qui venaient à Liège pour travailler dans notre industrie naissante et dans les mines. De plus n’oublions pas non plus que au début, Tchantchès est un personnage dont on se moque beaucoup. On raconte même que dans certains théâtres on payait pour frapper le nez de Tchantchès. On riait bien plus de lui qu’avec lui… En fait c’est la première blague sur le petit flamand. 2) A aix-la-Chapelle il y a une marionnette appelée Tchansque et qui signifie petit Jean. 3) Dans la joue de nos théâtres, on retrouve toujours un petit flamand appelé Jefque ou Jantche.
Son costume
Qwand on veût’ ne saquî an sarot, on s’dit qui ça n’pout-esse qui vos chal à Lîdge, come si v’sèriz vormint tot seû a pwerter ç’vîle mousseûre d’adreût, chal à Lîdge…
Quand on voit quelqu’un en sarrau, on se dit que ça ne peut être que vous ici à Liège, comme si vous étiez vraiment tout seul à porter ce vieux vêtement comme il faut, ici à Liège…
En observant Tchantchès aujourd’hui il est toujours vêtu d’un sarrau (sarot), d’un pantalon noir ou à carreaux, d’une casquette noire (canote ou calote), d’un foulard rouge à pois blancs noué dans son cou et il porte ses habituels sabots. Cette description correspond au costume traditionnel des ouvriers de la fin du XIXe siècle début XXe. A présent, à Liège, tout homme portant cette tenue est automatiquement appelé Tchantchès.
Cependant le costume n’a pas toujours été comme ça. Au début il était vêtu d’une grande blouse blanche. Mais sa tenue évolua très vite en s’adaptant au public présent dans les salles. Dans celles fréquentées par les bourgeois, il porter le costume et le chapeau buse. Dans celles fréquentées par des ouvriers, il prit le sarrau et toute une foule de costume pour ressembler le plus possible à son auditoire. Si le sarrau est le costume le plus connu pour Tchantchès, c’est que lors de la décadence du théâtre de marionnettes, les rares qui ne fermèrent pas leurs portes sont ceux destinés à une clientèle assez pauvres constituée en grosse partie de petits ouvriers. Ce phénomène implique que nous ne reconnaissons plus Tchantchès que dans son costume typique d’ouvriers de la fin du XIXe siècle.
Sa personnalité
La personnalité de Tchantchès résume bien celle des Liégeois. L’indispensable Tchantchès qu’ils appellent le manant liégeois… Toute la classe populaire est sommairement personnifiée dans ce type frustre et cocasse à la fois, plein de bonhomie et d’audace, tour à tour plaisant et sérieux. Les spectateurs aiment sa malice, son insolence, la verdeur de son langage, ses satires et son indépendance. Parfois du bon sens et toujours du bon cœur. Bavard et buveur, Tchantchès est le symbole liégeois par excellence. Sur scène ce n’est souvent qu’un flâneur, s’amusant de farces mais il posséde aussi des côtés romanesques car il sait être tendre et passionné.
Chez lui, Tchantchès n’a rien à dire. Il préfère jouer au diplomate car Nanesse est une « sacrée bonne femme ». Celle-ci n’aime pas avoir son homme dans les jambes. Alors Tchantchès part en compagnie de ses vieux camarades boire quelques pèkêts et de tournées en tournées ils feront le tour de la ville. Tchantchès est aussi un coureur de jupon, il aime la compagnie des femmes. Il n’est pas marié car pour lui « li marièdje n’est fêt qu’po les sots… » « Dji vou-t-èsse lîbe, bèure mi plat-cou Rinn’vatl’marièdje di pôrçulinne; on s’qwite, ons’rîplake, qwand on vou…. » ce qui pourrait se traduire par « le mariage n’est fait que pour les sots, je veux être libre, boire mon petit coup. Rien ne vaut le mariage de porcelaine: on se quitte, on se remet ensemble, quand on veut… ». Telle est la philosophie de Tchantchès sur le mariage. Sa compagne Nanesse est une femme du peuple, plein de bon sens, courageuse, sévère mais aimante et pleine de bonté. De temps en temps, jalouse car Tchantchès aime plaire et secourir les femmes.
Le coup de tête empoisonné
Tchantchès est aussi célèbre pour sa manière de se battre ! En effet celle-ci, selon la tradition, envoit ses adversaires dans l’autre monde grâce à un coup de tête terrible donné en pleine poitrine de son adversaire… Ce coup de bélier si redoutable qu’on le dit « empoisonné ».
Cette manière de se battre remonte au XIXe siècle. Il y avait à cette époque, à Liège, un championnat de « soukeu ». Ce sport de combat typiquement liégeois consistait à se battre en donnant uniquement des coups de tête pour mettre son adversaire KO le plus vite possible. Les soukeus liégeois jouissaient d’une solide réputation dépassant même nos frontières à tel point que certains d’entre eux furent appelés par Napoléon III et intégrés dans ses régiments comme « bélier humain » capable d’un seul coup de tête de défoncer une porte…
Voilà donc pourquoi notre héros se bat de cette manière et voilà aussi sûrement pourquoi on dit que les liégeois ont la tête dure…
La légende d’après J. BOSLY
Il y a de nombreuses histoires et légendes sur le personnage de Tchantchès mais la plus célèbre est sans doute celle de Jean BOSLY écrite en 1956. La voici:
Tchantchès, d’après une tradition locale émaillée de bien naïfs anachronismes, est né à Liège, de façon miraculeuse, le 25 août 760: il vint au monde entre deux pavés de la rue Roture dans le quartier d’Outremeuse, actuellement « République Libre de D’jus d’la Moûse »… »Les braves gens qui le trouvèrent furent merveilleusement étonnés de l’entendre chanter dès son entrée dans la vie: « Allons la Mère Gaspard, encore un verre! «
C’était un bébé joufflu, goulu, riant sans cesse; toutefois il boudait à la seule vue de l’eau. Pour le rendre tout à fait aimable, son père adoptif lui faisait sucer un biscuit trempé dans du pèkèt; il le sevra avec un hareng saure et son pupille en contracta, pour le reste de ses jours, une soif inextinguible.
Comme tous ceux qui sont appelés à une grande destinée, Tchantchès connut les déboires de l’existence: à la cérémonie du baptême, la sage-femme lui cogna malencontreuseme,t le nez sur le bords des fonds baptismaux tant et si bien que l’appendice nasal du pauvre enfant se mit à s’allonger démesurément et le facies de l’innocente victimeen devint ridicule au point qu’il servit de modèle pour les masques de carnaval.
Plus tard, atteint de la rougeole, le bambin fut obligé de prendre de l’eau ferrugineuse: « constant guignard » dans laquelle on avit ajouté de vieux fers pour en augmenter la teneur. Comme il se pinçait le nez pour ne pas goûter l’eau, il avala malecontreusement un fer à cheval qui lui resta dans le gosier. Dès lors, il ne sut plus tourner la tête que de droite à gauche; il dut désormais se mettre à plat ventre pour fixer le sol et sur le dos pour regarder en l’air.
A cause de ce pif cynéraïque, Tchantchès hésita d’abord à sortir de chez lui; mais bientôt son instinct de liberté lui fit affronter la foule et il s’offrit à faire St Mâcrawe, c’est à dire être porté tout barbouillé de noir de suie sur une chaise à porteur soutenue et escortée par tous les gamins du quartier: cet évènement mémorable eut lieu la veille de l’Assomption 770. Il connut le grand triomphe et s’aperçut que la laideur, accompagnée d’esprit et de bonté d’âme, sait se faire aimer.
Depuis ce jour, il fut sacré « Prince de Djus d’la Moüse ». Un jour en flânant au bord de la Meuse près du pont des Arches, il fit la rencontre de l’évêque Turpin et Roland, le neveu de Charlemagne. Turpin morigénait Roland sur ses déplorables résultats en latin ! Tchantchès avec son impertinence habituelle, intervent dans la conversation et pour mettre d’accord maître et élève, prononça cette sentence profonde: « Oui, seigneur chevalier Roland, le latin ne sert à rien du tout, mais c’est très utile quand même… »
Le document original de Jean BOSLY…