Les montreurs/sculpteurs liégeois d’hier et d’aujourd’hui
De gauche à droite: 1 Georges VETTERS, 2 Claudy DELETREZ †, 3 Martin ELSEN, 4 Michel LIBERT, 5 Vincent SAUVAGE, 6 Marc COYETTE, 7 Frédéric SAUVAGE †, 8 Jean VAN MULLEM , 9 Denis FAUCONNIER, 10 José MAQUET †, 11 Jacques ANCION †, 12 Christian DEVILLE †, 13 Jean Claude MAGGI †, 14 Joseph FICARROTTA
De gauche à droite: O. DANTHINE, F. BOUCHA, V.VERREES, J. LASSAUX, D. BISSCHEROUX, P.-P. PINET
Sans oublier CONTI, Thomas TALBOT, Georges VETTERS, Matthieu DE BROGNIEZ, Désiré BALTHAZAR, Anthony FICARROTTA, Arnaud LION, Jean Claude MAGGI, Arnaud BRUYERE, Vincent SAUVAGE, Denis FAUCONNIER, Michel LIBERT, Guillaume ANCION, Bouli LANNERS, …
(Voir ci-dessous pour la plupart des montreurs contemporains)
Les archives de la SONUMA
Grâce aux archives de la SONUMA, il est possible de revivre la grande épopée des marionnettistes liégeois les plus marquants, au travers de deux remarquables émissions datant de 1973: En suivant le fil d’Archal (I) et En suivant le fil d’Archal (II)
Un peu plus de biographie des montreurs célèbres…
Gaston ENGELS
C’est vers 1890 que Guillaume Engels et son père décidèrent de créer un théâtre de marionnettes au lieu dit : » la Troque » à Tilleur (faubourg de Liège). En fait Guillaume était potier de son métier et il arrondissait ses fins de mois grâce à son théâtre de marionnettes, aidé de son père et de son frère.
En 1905 Guillaume eut un fils : Gaston. A 4 ans déjà il jouait du tambour dans le théâtre de son père… A 9 ans il sculptait ses premières marionnettes s’inspirant de la collection de son père. A 14 ans, il dut remplacer son père qui souffrant d’une extinction de voix, ne pouvait assurer une représentation sur le boulevard de la Sauvenière devant le journal » la Meuse » . A cette époque le théâtre s’était agrandi d’un castelet mobile, car après la guerre 14-18, la salle fixe ne fonctionnait plus très bien (comme la plupart des autres théâtres de marionnettes à Liège). Elle devra fermer ses portes quelques années plus tard d’ailleurs…
En 1927, sous les conseils de son beau-père, Gaston créa sa propre troupe uniquement itinérante afin de parcourir la Wallonie et de participer aux fêtes foraines et festivals. Il reconstruisit un nouveau castelet et reprit cent cinquante marionnettes de la collection de son père (qui en possédait plus de 600) et avec l’aide de son épouse Maria, il mit son projet à exécution. Les spectacles que Gaston donnaient étaient sensiblement différents de ceux des autres théâtres de son époque ! En effet Il mit Tchantchès au premier rang et le fit intervenir en tant que personnage principal dans tous ses spectacles.
Il sortit du répertoire traditionnel (Histoire de France et de Liège) pour reprendre les contes et légendes comme Aladin, la Belle et la Bête, Ali Baba, Blanche Neige, la Belle aux bois dormant… Ces représentations ne duraient guère plus de 20 minutes. Il a ainsi déambulé avec son théâtre durant 43 années, pour cesser ses activités en 1970. Aujourd’hui encore il reste dans le métier l’un des plus grands marionnettistes liégeois, le maître qui a transmis le virus à tant de marionnettistes actuels…José Maquet (les petits bonhommes), Chritian Deville (as deux Tchantchès), Jaques Ancion (Al Botroule), pour les principaux… Le malheur de Gaston fut que son fils Guy ne voulut pas reprendre le métier. Gaston vendit alors ses marionnettes (Il en possédait près de 800) à des antiquaires et a ses trois » élèves » précités. Ceux-ci continuent encore de nos jours à faire vivre ces petits acteurs au cœur de bois.
Gaston ENGELS, sa femme et son fils
Quelques photos d’archives de Gaston ENGELS
Joseph CRITS
En souvenir de Joseph CRITS par Robert Willé (son petit fils)….
Petit-fils de Joseph Crits, qui fut montreur et sculpteur de renom, c’est en 1929 que je sculpte ma première tête dans un étau de « Saint-Nicolas » placé sur le même établi. C’est là aussi, dans son atelier qu’il m’avait installé un petit théâtre d’enfant – j’avais neuf – où je donnais des représentations pour mes amis, avant d’assister au spectacle du grand-père. En 1930, Joseph Crits mourait, et quelque temps plus tard, ma grand-mère vendait le matériel du théâtre: les trois cents sujets et tous les livres de chevalerie en plus des romans de cape et d’épée de Wislet de Seraing. alors que mon grand-père avait bien recommandé de me garder le tout…
Adolescent, j’allais souvent trouver Wislet au Jardin Perdu de Seraing ; là-bas. je me replongeais dans l’ambiance. Ensuite, pendant les années 35 à 38. il vint dans mon quartier où j’allais l’aider ; un beau jour, qu’il n’arrivait pas, force me fut de prendre sa place. A la fin de ma troisième représentation, il se trouvait dans la salle. Il ne me donna jamais son impression…
Le 5 décembre 1940. je donnais ma première matinée à la demande de deux amis qui étaient venus me contacter, pensant que je possédais toujours le théâtre de Crits. Je m’arrangeais une scène de fortune, un jeu emprunté à Wislet et je débutais. Continuant sur ma lancée j’entrepris de fonder « Le Souvenir Joseph Crits » près de chez moi et avec mes sujets d’enfant, en plus de quelques autres commandés à Wislet. Possédant le livre des « Quatre Fils Aymon », je le jouai. Celui-ci terminé, et puisque Wislet m’avait toujours instigué à jouer, j’allais lui demander un livre à prêter qu’il me refusa. Brutalement ma saison se terminait.
En 1949. un voisin me proposa de faire des « Footballers » pour jeux de table (kicker). J’acceptai et pour effectuer cette besogne, je repris les outils de mon grand-père qui heureusement, se trouvaient encore en ma possession. Ce travail terminé, l’idée me vint d’essayer de sculpter des marionnettes du genre « traditionnel », mais d’une grandeur de 75 centimètres. Dès le début, je tâchai de me remémorer la physionomie des principauxpersonnages de Crits ; tant bien que mal, j’y parvenais et c’est ainsi que pendant les grèves de 1960-61 j’avais remonté un théâtre pour donner « Li Naissance » en petit comité, pour des amis et leurs petits-enfants, chez moi.
En 1961. la fille de Wislet vint m’annoncer la mort de son père. Dès ce moment, je pus me permettre de recopier les principaux livres de chevalerie qui m’intéressaient.
Je repris aussi régulièrement contact avec Denis Bischeroux qui me prêta des sujets de son théâtre pour les reproduire. me donnant son appréciation sur le travail que j’effectuais. Ces conseils me furent précieux. Pour moi, lui aussi, mourut trop tôt ; mais j’avais acquis une grande expérience que je mis à profit.
En 1970, centième anniversaire de la naissance de Crits, étant auteur wallon, j’écrivis sa biographie, et je fis une narration sur une journée passée en sa compagnie. Ce livre n’est pas encore édité, mais cela ne tardera plus.
En 1971, après trente ans d’écart, j’ai repris contact avec le public, et mon théâtre est devenu itinérant.
Actuellement, je possède 130 sujets qui sortent tous de mon atelier, de même que les décors ,les travaux de couture furent initialement l’œuvre de ma mère. mais depuis son décès, mon épouse a repris le flambeau.
En octobre 1977, j’ai exposé à Grâce-Hollogne et j’y ai aussi sculpté en public ; initiative intéressante, car je pense être le premier de la lignée des sculpteurs de marionnettes liégeoises à avoir osé lever le voile sur cette profession.
Maintenant, mon rêve serait de pouvoir donner des spectacles en mon domicile, là même où Joseph Crits jouait ! Malheureusement, la législation et les taxes, sont tellement exorbitantes, que dans notre pays, il ne faut plus y songer. Pour s’installer, il faut, ou créer une A.S.B.L. ou être soutenu par un Musée, la Ville ou une commune qui serait sensibilisée par la valeur artistique de nos marionnettes et à ce que ce folklore peut représenter pour la jeunesse.
Ceci dit, en espérant que ma voix puisse être entendue…
Denis Bisscheroux et le Théâtre royal ancien impérial, par Guillaume ANCION
Des hommes et des marionnettes
L’histoire d’amour entre Liège et les marionnettes remontent maintenant à près de deux siècles. Au fil des années, bon nombre d’enfants se sont succédés sur les bancs des différents théâtres de marionnettes de la ville et de sa périphérie pour y acclamer Tchantchès, Nanesse et les différents personnages qui peuplent les théâtres.
Si nos héros de bois sont connus de tous, ceux qui leur donnent vie et leur prêtent leur voix le sont beaucoup moins. Et pourtant, sans eux, il ne peut y avoir de spectacles de marionnettes. Nous vous proposons donc de découvrir l’histoire de l’un d’entre eux : Denis Bisscheroux. Décédé il y a tout juste 50 ans, il est l’un des marionnettistes les plus réputés et est toujours considéré, aujourd’hui, comme l’un des meilleurs sculpteurs de marionnettes liégeoises.
Apprentissage et sculpture
Denis Bisscheroux nait, le 7 septembre 1884, à Liège. Comme beaucoup d’enfants de la Cité Ardente, il va avec son papa « aux marionnettes ». Le petit Denis fréquente assidument la salle de spectacle de Léopold Leloup, située en Outremeuse. Dans une interview réalisée, en 1956, par Joseph Paquay, il explique avoir appris l’ébénisterie dès l’âge de 14 ans mais aussi qu’il répare et joue aux marionnettes avec Léopold Leloup jusqu’en 1903.
Ayant étudié, « l’anatomie des races », à l’Académie des Beaux-Arts, il se lance dans la réalisation de marionnettes pour différents théâtres présents à Liège. Très vite, son talent de sculpteur est reconnu dans la profession et des confrères lui commandent des têtes pour les sujets du leurs théâtres (Messieurs Danthisne, Bawdin, Dochat, Houbiers pour citer les plus célèbres). La quantité de commandes est telle qu’un jour, Monsieur Dochat lui apporte un arbre entier d’aulne ! Notre jeune ébéniste doit le débiter et le monter dans sa chambre qui lui sert d’atelier !
« Ses têtes atteignent un réalisme et un raffinement étonnants. Il pratique un style aristocratique et sa formation d’ébéniste l’a rendu familier de la grammaire stylistique et des proportions classiques. Il fait de ses personnages de véritables individus, portraits. Sur les visages altiers des marionnettes se lisent leurs états psychologiques : tel semble soucieux, sévère, tel autre réjoui ou souriant. Les creux sont peints en gris ou en brun afin de renforcer leur effet. Les silhouettes sont élancées, les traits fins, les cheveux et les barbes finement méchés. Sa virtuosité investit les moindres détails, comme le dessin des oreilles ou le tracé des ongles ».
Le « Théâtre royal Ex impérial »
C’est en juin 1918 que Bisscheroux rachète, à la veuve d’Alfred Bawdin, le castelet du « Théâtre Impérial », situé au château des Grignoux depuis 1726. Il l’installe au numéro 20 en Roture le rebaptise « Théâtre royal Ex impérial ».
Le bâtiment datant du milieu du 18ème siècle arbore un bas-relief en pierre représentant un chaudron et possède, encore aujourd’hui, la ferronnerie d’époque. Bisscheroux installe une enseigne lumineuse (Théâtre royal de marionnettes ancien Impérial) qui se trouve actuellement au « Musée Tchantchès ». La minuscule cuisine sert, les soirs de spectacle, d’antichambre et de location. La façade du castelet n’est autre qu’un limonaire, le haut de celui-ci est surmonté d’une lyre. Dans les années 1980, par un concours de circonstances et grâce aux yeux habiles de la restauratrice mandatée par le « Musée Tchantchès » pour rafraîchir le rideau, la peinture originelle du castelet sera découverte : deux sublimes nymphes cachant d’un voile fin leur nudité.
Avec l’essor du cinéma et de la télévision, beaucoup de théâtres doivent mettre la clé sous le paillasson. Le théâtre de Bisscheroux n’est pas épargné. Pour survivre, il doit alors établir, en 1925, un contrat avec l’association des amis de la marionnette liégeoise réunissant des intellectuels et amoureux du folklore tels que Rodolphe De Warsage, Joseph Vrits, ou encore Joseph Mignolet. Ce contrat l’oblige à devenir dépositaire de son propre matériel (théâtre, marionnettes) contre une allocation annuelle de 2.000 francs. Il est tenu de jouer régulièrement sous peine de léguer son patrimoine à l’association. Le grand drame de cette histoire est que l’allocation n’est jamais indexée ! Il tient son théâtre ouvert jusqu’en 1962, date à laquelle il cesse toutes activités. Il finit sa vie, malade et dans la plus grande indifférence, au Valdor à Liège. Il meurt il y a 50 ans, en 1972 et repose depuis au cimetière de Robermont (zone verte 230).
Que reste-t-il de Bisscheroux ?
A la cessation des activités, dans les années 60, les amis des marionnettes liégeoises et les membres de la République Libre d’Outremeuse (Paul Dehousse, Henri Chalant, Henri Libert et d’autres) ressortent le fameux contrat de 1925 et commencent le déménagement des 129 marionnettes et du castelet du « Théâtre royal Ex Impérial » vers la rue Surlet. L’anecdote raconte que les habitants de Roture, forts attachés à leur théâtre, insultent les membres de la République considérant qu’ils leurs volent leurs marionnettes.
Depuis le 15 janvier 1967, les marionnettes de Bisscheroux continuent de vivre au « Musée Tchantchès », situé au numéro 56 de la rue Surlet en Outremeuse.
Notons également que le Musée de la Vie wallonne possède une remarquable collection du théâtre d’Antoine Houbiers (rue de l’abbaye à Seraing) où la plupart des marionnettes ont des têtes de Bisscheroux et des corps d’Houbiers.
Le reste de la collection de Bisscheroux est répartie entre différents collectionneurs, tous amateurs du travail de ce sculpteur d’exception.
Enfin, en 1998, sur une idée de Jules Defrance, peintre publicitaire et aficionado-collectionneur de marionnettes, la pièce « Denis Bisscheroux » (2 actes et 8 tableaux) est créée par le « Théâtre de Marionnettes de Mabotte » avec, dans le rôle de Bisscheroux, le comédien Fernand Tilman. Pour l’occasion, Monsieur Defrance prête des marionnettes issue de sa collection et sculptées par Bisscheroux.
Guillaume ANCION, planket au théâtre de marionnettes du Musée de la Vie wallonne
La Famille PINET (présentation par Jean PINET)
Dans notre famille. on est marionnettiste de père en fils ; le plus ancien des montreurs est contemporain du fameux Conti. Ce fut mon trisaïeul Mathieu Pinet qui débuta avec des marionnettes dont la tête était taillée dans un bloc de bois; le corps, les bras et les jambes étaient en coton bourré de paille. Elles étaient actionnées par un fil d’archal fixé dans la tête à l’aide d’un clou cavalier. Les sujets étaient fabriqués à l’effigie de l’un ou l’autre ami du quartier; il n’y avait que des Tchantchès et des Nanèsse et puis une marionnette étrange qui a nom Cacafougna et que je possède encore.
Mon arrière grand-oncle Pierre-Paul Pinet, qui jouait comme premier aide avec Monsieur Godinas à Bressoux, décida en 1870 d’ouvrir son théâtre personnel, également à Bressoux, place Warihay. C’était un être curieux ; il fit beaucoup pour la marionnette liégeoise. Les nombreuses distinctions qu’il remporta le révélèrent comme auteur wallon de premier ordre pour cette époque. Voici quelques-unes de ses distinctions: Plaquette du mérite pour les marionnettes en 1902; Médaille du Vieux Liège Exposition de 1902; Médaille du Concours de Cramignons en 1875 ; Médaille du Concours de chansons wallonnes en 1876 ; Médaille du Grand Festival de Beaufays en 1876. Les pièces « La Passion » et « La Nativité « , le Chevalier Soleil étaient de ces créations. Les marionnettes deviennent de plus en plus soignées : on voit apparaître Charlemagne, Reines, Princesses, le Duc Aymon et ses quatre Fils Renaud, Richard, Allard et Guichard, Roland, Olivier, I’ Archevêque Turpin, le Duc Naymes et puis les Tchantchès et Nanèsses. Nos marionnettes mesurent : Charlemagne l m 05 – les Rois de 90 cm à I m – les Reines, les Princesses, les Chevaliers 85 cm – Tchantchès et Nanèsse 65 cm. Elles sont fabriquées en tilleul et en bouleau, elles sont et restent mues de même manière que ci-dessus. Les étrangers disent que nos marionnettes sont privées de mouvement : c’est une énorme erreur car un joueur qui connaît bien son métier sait les actionner et leur imprimer de nombreux mouvements, tout en n’ayant d’autre fil conducteur que la tringle ou fil d’archal. Les Tchantchès représentent toujours un personnage populaire ou un notable connu du quartier voire des personnages politiques. Les costumes sont en velours ou en brocart pour les Rois, Reines, Princesses et Chevaliers.
En 1894, mon arrière-grand-père Laurent Pinet monta son castelet rue Devant-les-Ecoliers à Liège. sous le nom du » Théâtre de l’Empire » ; il joua jusqu’en 1905, puis céda la place à mon grand-père Bartholomé Pinet
En 1928, alors que le cinéma prenait une grande extension et fit un grand tort à tous les théâtres de marionnelles, Laurent vendit son castelet et une partie de ses marionnelles au Musée de la Vie Wallonne, avec pour mission d’assurer les spectacles. Dès qu’il put tenir un Tchantchès en scène, François Pinet, joua avec mon grand-père; il avait alors 10 ans! Un soir, le public était dans la salle, mon grand-père était aphone: il avait une très forte angine rouge; il ne savait plus parler. Mon père regardant son père lui dit: » Veux-tu que je joue il ta place? Et il se lança, il donna donc sa première pièce qui était » Ogier le Danois » à l’âge de 12 ans. Mon grand-père était tellement content, qu’il pleurait et à la fin du spectacle il l’embrassa. En 1938, mon grand-père se retira et lui céda la place au Musée, après qu’il eut passé son examen de marionnettiste devant la Commission du Musée.
En 1948, il monta un théâtre itinérant et avec la pièce » Jeanne d’Arc » il décida d’aller de place en place dans la province de Liège ; les autres provinces suivirent : Brabant, Hainaut, Namur et Luxembourg. En 1954, le directeur des OEuvres Scolaires de Bressoux lui offrit une grande classe dans la vieille école de Bressoux, rue Emile Vandervelde ; mon père monta donc un nouveau castelel et y donna des représentations jusqu’en 1961. Mais le grand départ de notre théâtre itinérant fut le Festival International de Liège en 1958, durant lequel de nombreux marionnellistes étrangers surent apprécier notre jeu de marionneltes et nous invitèrent chez eux. Dès septembre 1958 à Bâle. en 1959 à Stockholm, en 1962 aux Pays-Bas. la France, l’Allemagne. la Grande-Bretagne, la Yougoslavie, etc .. etc. En 1970, mon père et la (amillc Pinet furent reçus par le Bourgmestre de Liège, Monsieur Destenay. Une petite réception fut organisée pour fêter nos 100 ans de marionnelliste.
A l’heure actuelle la famille compte officiellement 108 ans d’activités. En 1972, le Commissaire Général au Tourisme, Monsieur Arthur Haulot, remit à mon père la médaille du mérite touristique pour les nombreux services rendus à la cause de notre belle tradition folklorique de la marionnette. Notre théâtre est le seul à avoir un palmarès aussi éloquent : nous avons donné plus de 2.000 spectacles en 20 ans à l’extérieur de Liège. A de nombreuses reprises, nous avons fait des tournées, soit pour des Festivals nationaux, internationaux et mondiaux, soit pour des organismes célèbres, souvent par l’intermédiaire des Ambassades et Consulats belges et étrangers.
Les radios et les télévisions y étaient partout présentes. Voilà la troisième année que j’ai repris (Jean PINET) le flambeau, après le décès de mon père regretté ; j’ai passé moi-même l’examen devant la Commission du Musée de la Vie Wallonne, afin de pouvoir y donner des représentations. J’espère perpétuer pendant de nombreuses années cette belle tradition familiale si vivante encore de nos jours et, qui sait, peul-être verrai-je mon fils Jean-François prendre ma succession et être ainsi le 7′ »‘ du nom de Pinet. Pour le présent el sans aucune aide financière, nous réparons, repeignons et rénovons les costumes des 350 qui sont encore à restaurer. Actuellement nous remettons à neuf les sujets suivants: Jeanne d’Arc, Les Mousquetaires, Napoléon, les Pardaillans et en plus de cela nous nous sommes attachés à la fabrication des marionnettes sculptées et autres tels que tous les sujets nécessaires pour mettre bientôt en scène » La Passion « d’après la pièce de P.P. Pinet.
Henri et Michel LIBERT (La Vie Liégeoise, avril 1977)
Sur la rive droite de la Cité, dans le pittoresque quartier d’Outre-Meuse. berceau du Théâtre traditionnel Populaire des Marionnettes Liégeoises (env. 1850) et suivant la légende, endroit où naquit sa vedette incontestable et incontestée Tchantchès, siège depuis bientôt six générations, le « Théâtre Royal Ancien Impérial « (dernier de la primitive lignée à avoir pignon sur rue et géré par I’ A.S.B.L. la « République Libre d’Outre-Meuse » ). Ce caslelet d’époque el sa troupe de cent vingt-neuf acteurs ont depuis sa création la faveur de spectateurs de tout âge et de toute classe.
Bien sûr ces acteurs ont subi les assauts dégradants du temps, mais le précédent directeur et animateur Denis Bisscheroux, sculpteur professionnel sut revaloriser de ses mains d‘artiste, la magnifique collection que lui légua l’équipe Bawdin-Kinapen. Actuellement le Théâtre Royal Ancien Impérial, par son tout dévoué directeur Henri Libert aidé d’une équipe de quatre personnes. rend tout l‘éclat à ces personnages qui sont le plus beau fleuron artistique de la marionnelle populaire wallonne. De nos jours. considérant qu’un spectacle du style moitié XIXème siècle n’a plus l’attrait qu‘il exerçait sur les spec tateurs de l‘époque, l’actuel directeur Henri Libert s’inspiranl des canevas du répertoire de l‘époque écrit, crée, réalise les décors et joue ses adaptations, où très souvent se greffent des perles d‘actualités régionales, nationales et même internationales, ainsi que les innombrables interventions orales des spectateurs.
En outre, du même auteur, des parodies de classiques lilléraires ou lyriques (Roméo et Juliette, Faust et Marguerite, La vie de Bohème. etc.) font aussi les très belles et inoubliables soirées de gala réservées exclusi·vement à un public adulte.
Ces formes particulières d’expression demandent de la part du Maître du jeu Henri Libert et de ses montreurs Tony Mulhen et Louis Stappers. un esprit d’équipe à toutes épreuves.
Il était une fois, dans un petit village de la vallée de la Vesdre, une cave au fond de laquelle reposaient une centaine de marionnettes étranges, drôles, attendrissantes. Leur maître, qui avait pour nom Henri Libert, avait pris la décision de ne plus courir les routes, afin de se consacrer pleinement à l‘animation du célèbre musée Tchantchès en Outremeuse. Ses personnages qu’il avait créés, avec qui il avait vécu vingt longues années, pleuraient ce départ.
Un beau jour, le fils de Henri Libert. Michel, descendit dans la cave et se mit à contempler ces pauvres pantins qui y étaient enfermés. C’est à ce moment que quelque chose d’étrange se produisit… princesses, chevaliers. sorcières, rois, tout ce petit monde se lamentait : « Ecoute nos cœurs.. décroche-nous de ces murs, ne nous y laisse pas mourir, emmène-nous sur les routes égayer les enfants, attendrir les adultes… « Dans leurs yeux se mêlaient la tristesse et l’espoir, l’espoir de revivre… Une vive chaleur s’empara du corps de Michel. les battements de son cœur emplissaient l’obscurité de la cave... il prit affectueusement un des étranges petits personnages, le regarda dans les yeux et lui dit : « Je viens... •·
Un immense cri de joie s’échappa de tous les cœurs. la sorcière caressa son balai magique, les soldats affûtèrent leurs épées, les princesses agitèrent leur mouchoir, et Tchantchès avala une rasade de pèkèt sans cligner de l »œil. En ce beau jour de janvier 1976, le Théâtre de la Cave était né.
Le temps de préparer leurs bagages, les habitants de la Cave se mirent en route, accompagnés de leur nouveau maître et de sa demoielle Christiane.
Partout où ils passent les enfants crient, rient, les adultes redeviennent des petits enfant;. tout le rronde encourage le preux chevalier qui ne tarde pas à occire ses ennemis; tous ces cris émoustillent Tchantchès, qui se lance tête baissée dans la margaye. Le prince a délivré sa belle des mains de l‘infâme Sorcière Carabosse. Tchantchès a terrassé l’immonde dragon vert… les enfants s’en retournent heureux.
Les coups de tête empoisonnés de Tchantchès font partie de l’ambiance des fêtes du I 5 août en Outremeuse où le Theâtre de la Cave se produit depuis trois ans.
Quel est son but? Décentraliser le théâtre de marionnettes liégeoises afin que chacun puisse découvrir ou redécouvrir la chaude atmosphère d‘un spectacle de marionnettes, afin que chacun puisse pénétrer dans le royaume enchanté de la marionnette où le fantastique et le merveilleux sont rois.
Quels sont ses moyens? Un répertoire traditionnel appuyé par une mise en scène rénovée: spots de couleur, jeux de lumières, un grand choix de décors. effets sonores. bruitages, musique..
De quoi se compose son répertoire? De pièces de chevalerie traditionnelles, de légendes de Wallonie et d’Ardenne, mais aussi, de contes de fées adaptés, créés par les membres de la troupe. Les marionnelles ont été construites par Henri Libert el habillées par son épouse d’après les pièces authentiques. Citons quelques-unes d’entre elles: !’Empereur Charlemagne, son neveu Roland ainsi que son fidèle compagnon Olivier, Ganelon, la sorcière Carabosse et son horrible dragon vert, Tchantchès
… Comme dans tous les contes de fées, elles vivent heureuses et ont beaucoup d’enfants ; en effet, une vingtaine de nouveaux personnages sont sur le point d’être achevés par Henri Libert.
Si le Théâtre de la Cave s’écarte de la tradition pure par ses modernisations, il n’en a pas moins gardé son caractère bien liégeois et, dans la plupart de ses pièces, Tchantchès. symbole vivant de l’esprit wallon, y est resté la capricieuse et irremplaçable marionnette que nos pères et grand-pères ont connue.
….
Jacques ANCION (La gazette de Liège, 2001)
RENCONTRE
Le spectateur ne peut que deviner sa présence derrière la toile peinte du décor. Et imaginer la manipulation des accessoires nécessaires aux bruitages. Les voix, légèrement amplifiées par un micro, c’est lui bien sûr. Menaçantes ou sournoises, aux accents de baryton ou féminisées, elles se répondent naturellement, partie intégrante des personnages. Puis, captivé par les regards fixes des marionnettes, on finit par l’oublier. Une inclinaison de la tête, un brusque mouvement du corps entier, de petits sauts bruyants, on s’habitue au mode d’expression des figurines pour se laisser porter par l’histoire.
Après la représentation, Jacques Ancion descend saluer son public attablé dans le foyer aux murs tapissés d’affiches. On découvre alors celui qui ne se montre pas. Clopin-clopant, (il souffre d’une ancienne fracture au pied), il répond aux sollicitations. Il plaisante surtout. Bref, il continue de jouer. De bon coeur, il se prête à un autre jeu, celui de l’interview. Mon grand-oncle m’a offert ma première marionnette quand j’étais enfant, peu après la guerre, un petit Charlemagne. Avec des amis, des voisins, nous en avons fabriqué d’autres. Les seules que nous pouvions voir alors, étaient celles de Gaston Engels sur la foire. Le goût du théâtre est venu plus tard, en 60, lors d’une grande fête d’automne à Robermont où je me suis proposé pour animer un théâtre de marionnettes.
Avant de créer le théâtre Al Botroûle, Jacques Ancion fut naturaliste, principalement pour le musée Van Beneden, et sculpteur. Avec des amis artistes, rencontrés aux cours du soir de l’école Saint- Luc dans les années 60, il confectionne d’autres marionnettes. On les construisait, on écrivait les scénarii, on choisissait la technique la mieux adaptée, (ombres ou marionnettes à fils ou gaines) Les représentations se donnaient au 130 rue Sainte-Margueritte, dans un atelier de sculpture et de moulage où nous avions tous les matériaux à notre disposition. Ce qui me plaît, en dehors du spectacle en lui-même, c’est de toucher à toutes les disciplines: l’écriture, la peinture, la sculpture
AU CENTRE DU QUARTIER
En 64, le marionnettiste acquiert la maison rue Hocheporte avec sa ravissante cour intérieure. En compagnie de son épouse, partenaire de tous les instants, il débute en 72, les premières représentations au Théâtre Al Botroûle (Au Nombril), parce qu’il se trouvait au centre du quartier, qu’on renouait le cordon ombilical avec une ancienne tradition, que nous nous voulions démocratique et qu’un nombril, tout le monde en a un!, explique le propriétaire des lieux. Al Botroûle connut assez vite le succès auprès d’un public très régulier, fidèle aux spectacles familiaux, aux feuilletons Aujourd’hui, c’est la télé qui feuilletonne!, déplore Jacques Ancion. Le répertoire était là, composé en majorité du théâtre français, très peu de wallon, un peu d’épopée, de la matière religieuse et des contes populaires d’ici. Nous avons essayé de retrouver les anciennes marionnettes liégeoises, malheureusement nombre d’entre elles ont été exportées par des filières organisées vers Bruxelles et les Etats-Unis. Nous avons récupéré une bonne partie des marionnettes de M. Engels, convaincu qu’avec nous elles joueraient encore. Mais nous en fabriquons encore aujourd’hui. Il a toujours manqué des enfants, des animaux, certaines femmes, dit-il.
Même s’il donne vie aux marionnettes, Jacques Ancion n’a jamais réellement voulu être comédien, les marionnettes me paraissaient plus intéressantes, précise-t-il. A la différence du comédien qui se transforme, la marionnette est le rôle. Et comme le disait Saint-Paul Roux à propos du dramaturge: il tire de son sac, la possibilité d’être Jésus et Judas en même temps. Quand je joue la Passion, j’ai Judas dans une main et Jésus dans l’autre La tradition théâtrale veut que le montreur soit seul. Or, le marionnettiste se fait souvent aider par l’une ou l’autre assistante. On se rend compte en pénétrant dans les coulisses, qu’il faudrait 10 mains et la tête solidement posée sur les épaules pour alterner bruitage, manipulation, lumière, texte et musique, en respectant l’humeur et le cours du récit. Des accessoires en tous genres, jonchent l’établi, en attente d’être utilisés. En face de lui, Jacques Ancion garde un oeil sur le texte et sa conduite. A sa droite, se trouve la régie lumière, tandis que les marionnettes de la distribution sont suspendues derrière lui. Et c’est vrai qu’elles ne sont pas si légères, ces marionnettes. On peut quand même appuyer les avant-bras sur le contrefort supérieur, mine de rien, ça soulage, montre Jacques Ancion. Et le spectacle vu du haut est encore plus magique
UN EMOUVANT HOMMAGE A JACQUES ANCION (document transmis par Guillaume ANCION)
Homélie pour le décès de Jacques Ancion
Collégiale Saint-Jacques, 31 octobre 2022
Jean-Pierre Delville, évêque de Liège
Chers Frères et Sœurs,
« Al Botroûle, n’a nouk qui tchoûle ».
C’était la devise de Jacques quand il inaugurait son petit théâtre de marionnettes à Liège en 1973: « A la Botroule, n’y a personne qui tchoule ».
Comme dit, en d’autres mots l’Apocalypse : « Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 4). Jacques voulait, par son théâtre de marionnettes, essuyer toute larme des yeux, des enfants comme des adultes. Ainsi il a réinventé le métier et lui a donné une nouvelle ampleur !
Vous savez qu’il a commencé là-haut au-dessus de vos têtes ? Il a participé à la restauration de cette voûte, la plus compliquée et la plus belle au monde, en repeignant les têtes fantastiques et saugrenues, émouvantes ou effrayantes, qui ornent ce plafond. Peut-être qu’en peignant ces personnages mystérieux, héritage de la créativité de nos ancêtres du 16ème siècle, Jacques s’est mis à rêver qu’il pourrait les animer et les faire parler. C’est comme s’il avait descendu les clés de voûte à notre niveau et qu’il en avait orchestré le spectacle. Jacques était imprégné des œuvres du patrimoine liégeois, depuis les plus comiques comme les histoires de Tchantchès et de Nanesse, aux plus mystiques comme les récits de la Naissance ou de la Passion de Jésus. À partir de ces sources d’inspiration, il a composé son œuvre de théâtre de marionnettes, en maniant les grandes marionnettes à tringles, qui font le bonheur des spectateurs quand elles s’entrechoquent les unes sur les autres et s’étalent sur le devant de la scène. En partant du concret de ces histoires, Jacques nous a menés du local à l’universel, comme l’a écrit Laurent Ancion, dans son hommage. Jacques donnait vie à ses marionnettes pour mettre de la vie autour de lui et enchanter la vie des autres. Jacques a touché les aspects les plus profonds de la personne humaine. Comme l’auteur visionnaire de l’Apocalypse (Ap 21, 1-7), il pouvait dire : « J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle ». En effet, grâce à la magie du spectacle, Jacques nous donnait à voir un monde nouveau, une cité nouvelle, qui nous dépaysait et nous transportait ailleurs, dans un monde meilleur. Par le spectacle artistique, une voix nous parlait, un langage nouveau se donnait à nous, qui élargissait notre monde intérieur. Ainsi, l’artiste est-il l’image de Dieu, Dieu qui, pour reprendre l’Apocalypse, « fait toute chose nouvelle », et qui « donne gratuitement, à celui qui a soif, l’eau de la source de vie ». Partant du particulier, Jacques touchait à l’universel ; partant de Liège, il a présenté jusqu’au Japon ses spectacles de marionnettes, allant de l’Occident à l’Orient, petit écho au message divin qui parle de l’alpha et de l’oméga.
Et ainsi nous découvrons que Jacques ne travaillait pas seul : toute une troupe se regroupait autour de lui, à commencer par son épouse, Françoise Gottschalk, décédée trop tôt ; ses enfants, sa compagne Tania et tous ses amis et collaborateurs, qui s’engageaient – et s’engagent toujours – chacun avec ses charismes et ses qualités. C’est pourquoi vous êtes si nombreux ce matin à entourer Jacques dans cette église, dans un mélange de tristesse et de reconnaissance. Car Jacques avait une qualité de rassembleur et il enthousiasmait ceux qui se joignaient à lui dans son aventure. Il faisait siennes les paroles de Jésus : « Je suis le bon pasteur ! Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14). Jacques connaissait son monde et ses amis lui en sont reconnaissants, ils sont fiers d’avoir travaillé avec lui !
Jacques n’est plus là, matériellement présent. Comme le disait l’Ecclésiaste, dans un poème célèbre : « Il y a un temps pour tout, un temps pour donner la vie et un temps pour mourir, un temps pour pleurer et un temps pour rire » (Qo 3,1-2). Jacques a illustré tous les temps, aujourd’hui il nous a quittés. Notre monde continue à tourner et ses horizons ne sont pas toujours favorables. Il y a trop d’injustices, de violences et de guerre. Jacques en était conscient. Aussi aurait-il aimé la finale de ce poème : « il y a un temps pour la guerre, et un temps pour la paix » (Qo 3,8).
Jacques a travaillé pour la paix, à commencer par la paix des cœurs. « Al Botroûle, n’a nouk qui tchoûle ».
Jacques est mort, mais dans l’espérance qu’il n’y aura plus de mort. D’ailleurs, il n’est pas mort : levez les yeux, il nous regarde depuis la voûte, il est caché dans le visage qu’il a peint et qu’il a restauré pour l’éternité !
Christian DEVILLE (par lui même…)
Le rêve et la réalité
La fête foraine du Thier à Liège. en 1953, fut le premier contact que je pris avec les marionnettes liégeoises du Théâtre Forain de M. Gaston ENGELS; les réparties et les coups de tête empoisonnés de Tchantchès faisaient battre mon cœur d‘enfant au rythme même qu‘un Zorro ou qu‘un Robin des Bois... « Le coup de foudre « …
A la St-Nicolas, j’eus mon premier théâtre de marionnettes ; d’années en années, je guettais impatient le passage du convoi forain sur le boulevard Ernest Solvay. Je courais à côté du camion de Gaston pour l’aider dans le montage de son théâtre et mettre les marionnettes sur la scène. Ah ! quel privilège pour moi de tenir Tchantchès dans mes bras : je fus certainement un des clients les plus assidus, mon grand-père payant plusieurs séances consécutives. Je ne quittais pas ma place au premier rang, de peur de rater un lever de rideau. Plus tard. vers l‘âge de neuf ans, je battis la caisse (tambour) et pris ma première leçon d’aide montreur avec mon professeur G. Engels. J’étais l’enfant le plus heureux du monde. J’aurais aimé avoir mes grandes marionnettes et mon théâtre personnel, mais quel rêve...
Quinze ans plus tard, le rêve devint réalité en l’espace de quelques jours. un fond de scène et des coulisses hâtivement peints furent asemblés sur des bancs d‘écoliers encadrés de planches de chantier recouvertes de tentures, ce fut la première sortie du Théâtre, à l‘occasion de la Fancy-fair de l‘école des Sœurs de Sainte-Walburge en février 1973. G. Engels me fit cadeau de quelques marionnettes et me fabriqua mon Tchantchès à l’image du sien. car je n‘en voulais pas d’autre.
Actuellement, je possède cent vingt marionnettes, ce dont je suis très fier.
Ces différents sujets furent sculptés par Joseph Crits, Gaston Engels et quelques têtes de Denis Bicheroux.
Cette «djowe» est composée d‘une cour chrétienne, d »une cour païenne, de paysans, géants, diables, dragons, sorcières, etc., etc. Le répertoire du Théâtre est composé de pièces traditionnelles : Li Naissance, Orson et Valentin, les Quatre Fils Aymon, Huon de Bordeaux, Ogier le Danois, et bien d’autres romans de Chevalerie tirés en grande partie de la Bibliothèque Bleue, mais aussi de contes et légendes tels que Blanche Neige et les sept Nains. Alibaba et les quarante Voleurs, Robin des Bois, Prince Vaillant, etc.
Ces féeries ont été adaptées pour les marionnettes par moi-même. Les fancy-fair se succédèrent les unes aux autres et je construisis ma scène actuelle peinte et décorée par M. Gaston Engels et son fils Guy Engels. Pour les féeries, pièces comiques, j’étais prêt : pour la chevalerie, je me perfectionne dans ce domaine au musée de la Vie Wallonne en aidant de mon mieux M. Adrien Dufour, montreur attaché au musée.
Comme on n‘en sait jamais assez; un style étant totalement différent d’un autre, A. Dufour, exploitant un style dit rive gauche et moi un style dit rive droite, cette alliance ne saurait être que bénéfique pour moi et qui sait pour l’avenir de la marionnette.
Liégeoisement vôtre..
Adrien DUFOUR
Adrien Dufour est le neveu du montreur Oscar Danthine, lui-même neveu de M. Corin établi à Seraing où il joue avec lui. Danthine vint alors s’installer à Saint- Nicolas puis au quartier de Pierreuse où Dufour se mit à aider son oncle et aussi Victor Verrees dont il appréciait particulièrement la façon de jouer.
Il débuta comme montreur à Harzé près d’Aywaille, ayant dû remplacer Danthine tombé malade, et le spectacle devant être assuré (1929).
Fin de l‘année 1929, il donna la première représentation au Musée de la Vie Wallonne comme aide d’Oscar Danthine qui assurait le dialogue. En 1930, il assura d‘une façon régulière les représentations au Musée comme aide de Victor Verrees, en compagnie de Hector Van Mullem. En 1934, sur les instances de Monsieur Remouchamps père: il débuta en qualité de montreur officiel du Musée de la Vie Wallonne où il se produit encore actuellement. Son répertoire est choisi dans les romans de la Bibliothèque Bleue, et se compose principalement de pièces traditionnelles de Chevalerie. Il donne aussi « Li Naissance « (La Nativité). La Passion, les 600 Franchimontois, et de petites pièces pour enfants telles que Thierry la Fronde, Robin des Bois et autres.
Il a parcouru toute la Wallonie ; il a joué à Paris en 1951, à Vincennes, à Cabourg, à Givet, à Sedan, à Charleville, à Aix-la-Chapelle, au Mini Dum en Allemagne, en février 1979 à Londres et à Oxford.
Tout cela nous dit qu‘Adrien Dufour appartient à une tradition solide et qu‘il est très estimé du public. Nous pouvons dire aussi qu‘il s’est produit devant de nom breuses personnalités. La Princesse Paola et ses enfants, la Comtesse de Broqueville et ses enfants, les Ballets Russes, le Président Mondial du Rotary Club. etc. Et nous terminerons en signalant l’enregistrement d‘un résumé de la pièce des quatre fils Aymon présentée par Tchantchès au Musée des arts et traditions populaires à Paris, enregistrement réalisé en 1976 par Monsieur Rivière, directeur général aux Recherches scientifiques françaises, venu en personne à Liège au Musée de la Vie Wallonne. Il est bon de souligner que cette bande a déjà été entendue par de nombreux touristes liégeois et étrangers; elle sert indiscutablement à faire connaître encore mieux la Marionnette Liégeoise dans le monde.
Dans« La Vie Liégeoise »du n° d’avril 1977, on lit au sujet d‘Adrien Dufour:
« Quand on l‘entend. on a l‘impression que tous les vieux montreurs de Pierreuse parlent – et en même temps! – par la voix d’Adrien Dufour, le dernier tenant du style. – Que l’on fasse tomber la tête d‘Oger ! Le verbe est haut ; voilà qu‘il tombe comme un… couperet ! Quand Adrien tonne, Charlemagne prend des allures de Zeus: on le verrait très bien manipulant la foudre. L’Empereur de Dufour apparaît ici tel que l‘ont connu des générations de spectateurs : une barbe fleurie mais un caractère de… passons !
Le style d‘Adrien Dufour est, à la fois, ample et nerveux ; ses combats sont légendaires. Au théâtre du Musée de la Vie Wallonne, quand le rideau rouge s’ouvre, aux premiers mots du montreur, on sent d‘emblée que la Tradition entre en scène… •
Vincent SAUVAGE (présenté par Estelle Aubert, 2002)
En semaine, il se glisse sous sa toge noire d’avocat. Le dimanche, c’est derrière le petit rideau rouge du théâtre de marionnettes de la maison des jeunes à Ougrée qu’il se planque. Vincent Sauvage, l’insaisissable. Toujours à se dissimuler derrière une pirouette, une bonne blague ou un bon accès de « S’raing ». Quand il n’a pas le mot pour rire, sa tête de pitre avec ses grands yeux ronds et ses cheveux raides sur le crâne amusent. Derrière le masque, cet homme de 44 ans cache sa grande sensibilité. Il ferait la fête ou parlerait de la pluie et du beau temps avec le premier venu mais a mis un temps fou à dire à ses collègues du barreau qu’il était, aussi, passionné de marionnettes. Aujourd’hui encore, peu le savent. Pourtant, dans son bureau d’avocat de la jeunesse, des marionnettes pendent à la cheminée et les murs sont couverts de portraits de Tchantchès.
Tchantchès qu’il fait vivre avec Nanesse, Banane et tous les autres au bout de leur tringle. Autant de personnages de la tradition populaire liégeoise qu’il connaît depuis longtemps. Tout jeune, j’ai vu mourir deux montreurs sans qu’il y ait de successeur. J’ai vraiment pris conscience très tôt qu’il s’agissait d’un art en péril. L’ados commence à faire des spectacles avec des copains scouts et des marionnettes récupérées çà et là. Il part en France l’été avec ses personnages. C’était les vacances marionnettes, les spectacles à la casquette qui marchaient à crever !
Le cancre du secondaire se mue aussi en brillant élève de droit : il a décidé d’être avocat. Pour défendre la cause des enfants. C’est le futur de l’humanité. Ce qui est raté dans la culture ou dans l’éducation, c’est raté à jamais. On aura affaire à des adultes sans racines. Comme avocat, je vois la tristesse des enfants. Le montreur de marionnettes, lui, est là pour les faire rire. Je mets en scène une parole qui n’est pas la mienne. Face à des juges, on met en scène la cause qu’on défend. Avocat et montreur, c’est peut-être bizarre, mais ce n’est pas antinomique. Même si l’un est aussi passionnant que l’autre, Vincent Sauvage ne les mélange jamais. La vie est déjà assez compliquée.
Ainsi, cette année encore, il a cru bien faire en prêtant sa voix au saint Nicolas de Bel RTL. Pour amuser les enfants. St Nicolas a reçu 130 SMS dont quatre d’une tristesse poignante. Depuis lors, de vieux démons torturent le coeur de l’homme qui ne peut rester indifférent à ces quatre sorts. Alors, cette année peut-être, il sera aussi père Noël.·
Avocat, marionnettiste
Deux vocations plutôt qu’une
A 4 ans, ma maman m’emmenait avec mes soeurs aux marionnettes, place Merlot. Gaston Engels, le dernier montreur ambulant, venait là avec sa baraque de foire. Et puis il a arrêté. J’avais 6 ans . Pendant quatre ans, Vincent Sauvage, le petit Serésien né en 1958, est ainsi privé de marionnettes. Jusqu’à ce qu’il aille à nouveau au théâtre de M. Deletrez. Puis d’en faire avec des copains. En 1986, une fois entré au barreau de Liège, il rencontre Adrien Dufour, montreur au Musée de la vie wallonne. Il travaille deux ans avec lui et apprend à faire les voix aiguës, comme celle de Nanesse. Puis Vincent apprend qu’un certain Isidore Cavraine donne des spectacles de marionnettes à Ougrée. Il y va avec son fils – il a aussi deux filles -, propose d’aider le vieil homme. Il n’a plus jamais arrêté ! Si le poids des marionnettes à tringle a eu raison de son dos, il n’a entamé ni son talent ni son énergie. (E.A.) Photo Dessart.
Allez Tchantchès ! Allez !
Ougrée Bas. Quartier populaire et commerçant de la rue de Boncelles à deux pas de la cokerie et ses rouges fumées. Serésiens, Liégeois, Italiens, jeunes et vieux s’installent dans la petite salle de spectacles de la maison des jeunes du Haut-Près. Dans le hall où s’entassent skis, bâtons et chaussures, on paye un euro à M. Lambot qui fait aussi barman à l’entracte.
Aujourd’hui, on va voir Tchantchès et les voleurs et la dent de sagesse de monsieur Sourire. Les deux premières rangées de bancs sont déjà occupées par les enfants. Les lumières s’éteignent, c’est parti ! Le divertissement est assuré. Pour les petits comme pour les grands. Dans la grotte d’Ali Pacha et ses 40 voleurs, riche comme les caisses du parti socialiste, Tchantchès se demande s’il ne va pas trouver Anne-Marie Lizin dans un coin… Et puis, s’il gagne ses bagarres avec les voleurs, c’est grâce aux encouragements des enfants qui crient sans relâche : Allez Tchantchès, allez Tchantchès ! Tous les dimanches, ce sont d’autres histoires avec toujours les mêmes personnages symboles de la tradition populaire orale et les mêmes bénévoles : Vincent et Frédéric Sauvage, messieurs Coyette et Lambot. La semaine prochaine pour la Noël, il y aura du boudin !
Ainsi, tous les dimanches, de nombreux enfants quittent la TV pour vivre autre chose, au 9 de la rue Delbrouck à 10 h 30.·
Marcel SLANGEN dit « Professeur Ethike »
Cette troupe a vu le jour dans une classe d’école technique en 1972. Marcel Slangen, professeur à Herstal, avait vu dans les marionnettes un extraordinaire moyen de donner la parole aux jeunes, qui s’exprimaient bien plus librement par ce truchement.
Pendant cinq ans, avec des jeunes gens de 12 à 16 ans, il va mettre au point une technique d’expression s’appuyant sur les traditions de la marionnette liégeoise, mais s’orientant dans une autre direction : un théâtre de réflexion, de remise en question.
Pendant tout ce temps aussi, Marcel Slangen créait de nouvelles marionnettes, répondant aux besoins des nouvelles pièces que l’on écrivait. C’étaient à chaque fois des types nouveaux qui naissaient: le Patron, l’Ouvrier, l’Etrange, le Naîf… plutôt que des individus.
En 1977. séduit par l’effet produit sur les spectateurs adultes occasionnels, Marcel Slangen tente l‘expérience : avec une troupe riche d’une quarantaine de marionnettes, il présente en dehors du milieu scolaire ses premières pièces écrites pour adultes et grands adolescents.
Pour quel public?
Le premier problème était de trouver un lieu. Ce fut paradoxalement chose aisée grâce à l’amabilité de Christiane et José Brouwers qui rendirent possible l’expérience en lui ouvrant les portes du Théâtre Arlequin.
Le second problème était de trouver un public. En effet, mises à part des troupes à la réputation bien assise, on n‘est plus guère habitué aux marionnettes pour adultes et les parents se réfugient volontiers derrière l’alibi des enfants pour s’offrir la joie d’un spectacle de marionnettes.
Or ici, les marionnettes ne sont pas « pour enfants « ni dans les sujets, ni dans la façon de les traiter. Elles ne sont pas non plus « enfants non admis », mais décevraient les enfants toujours friands de batailles, de méchants toujours puni et de bons qui gagnent toujours ! Ici, il s’agit surtout de parodies où les institutions et les hommes célèbres sont dépouillés de l’auréole qui aveugle si souvent le peuple et l‘empêche de les voir tels qu’ils sont.
Après deux saisons de représentations, et malgré un accueil chaleureux de la presse et de quelques spécialistes, il est évident que ce problème n’est pas résolu. Attirer un public vers un lieu nouveau par une forme renouvelée d’un art à tradition populaire n’est pas chose aisée. mais l’enjeu en vaut la peine.
Des marionnelles à tradition populaire.
Le passé est estimable dans la mesure où il nourrit le présent. Les traditions de la marionnette liégeoise sont perpétuées amoureusement par des montreurs qui font honneur à leurs prédécesseurs. Ces traditions doivent aussi servir de matériau de base à l’évolution de la marionnette. Ce n’est pas trahir que d’actualiser, et c’est aussi perpétuer une tradition que de mettre en scène personnages et problèmes d‘aujourd‘hui. Ce n‘est pas non plus trahir que d‘utiliser des personnages « célèbres » (parfois tristement) pour les montrer sous un autre éclairage, plus réel peut-être que celui de la convention ou de l’histoire officielle.
Charlemagne ou Roland en prennent pour leur grade, mais Roland, le baroudeur sans cerveau de la pièce est-il plus ou moins vrai que le preux Roland du répertoire classique?
Et le Napoléon de la légende dorée – et bourgeoise – n‘est-il pas bien plus loin de la réalité que le Nabol-Naparte qui transforme la Révolution Française en entreprise de récupération au bénéfice de la bourgeoisie, mais aussi au sien et à celui de sa famille?
Le folklore, ce n‘est pas marcher sans fin dans la voie tracée, ni se figer dans une époque révolue dans un slyle vaguement « ré1ro « ou écologique, c’est avant tout perpétuer une voix populaire qui sourit, se moque, et dénonce la sottise et l‘injustice. C’est toute la démarche de parodies !elles que « La Vrêye mort de Roland « ou
« Nabot-Naparle ». Il n‘est cependant pas interdit, ni contradictoire, de s’attarder un peu dans une époque révolue, pour en ressusciter le langage, ce franco-wallon d‘une rare saveur que parlait Marcel Remy enfant. Cette adaptation des « Ceux de chez nous « est certainement une façon savoureuse de ressentir ses racines à un moment où tout se nivelle, se standardise dans une sorte de sous–culture pseudo-internationale. Et c’est sans aucun doule une façon aussi de se maintenir dans la tradition populaire.
Marcel Slangen ne manque pas de projets pour ses marionnettes. Le répertoire s’accroît au rythme – hélas, trop lent ! – d‘une création par an. mais il faut tenir comple qu‘il travaille seul avec son épouse (en plus de leur profession) non seulement pour le jeu, mais aussi pour la fabrication des marionnettes et l‘adaptation des pièces.
Quelques amis collaborent à des tâches précises avec autant de talent que d‘amitié. Le peintre Jean Lecluse est responsable des décors, qui sont bien plus que des décors; Marcel Willems signe des livrets pleins d‘invention, tandis que Alice et Georges Blockx habillent les marionnettes les plus somptueuses.
Dans un avenir proche, Marcel Slangen, avec tous ceux qui ont applaudi à ses premières œuvres. espère pouvoir conquérir un public nombreux qui lui permettra de rester parmi ceux qui constituent cc que Jean–Denys Boussart a bien voulu appeler « le nouvel âge d‘or de la marionnette liégeoise ».
Marcel SLANGEN
Jules VAN MULLEM
Le Théâtre mobile des marionnettes liégeoises, attaché au Département des Affaires culturelles, de la Jeunesse et des Sports de la Ville de Liège a pris naissance en novembre 1975.
Il organise en décentralisation des spectacles de marionnettes liégeoises traditionnelles.
Il dispose d’une camionnelle spécialement équipée, d’un castelet démontable, d’une sonorisation, de tous les accessoires indispensables et, bien entendu, d’un jeu de marionnettes.
Son montreur, M. Jules Van Mullem, est le descendant d’une famille de marionnettistes. Il a été formé par son père, M. Victor Verrès et le Musée de la Vie Wallonne où il a exercé pendant de nombreuses années.
Joseph FICARROTTA (Gazette de Liège du 11 février 1988)
Un lien intéressant vers un reportage Youtube sur Joseph FICARROTTA
Joseph ELIAS
Les marionnettistes de Liège et de la région, officiant en 2023
Un intéressant interview d’Anthony Ficarrotta est accessible en suivant ce lien.