Histoire de la marionnette liégeoise
Les marionnettes de chez CONTI
« Li Houlo. Roman historique wallon, scène de la vie, us et coutumes et transformations du Quartier d’Outre-Meuse ».
Dieudonné SALME
Liège, 1888, pp. 51-65
En quitant « Rôlêwe » et en passant par la « P’tite Bètch », nous arrivons à la « Porte Grumsel ». Là, sur le seuil d’une petite maison, un homme en bras de chemise jouait sur un tambour bosselé : c’est chez Conti aux marionnettes.
Avant d’aller prendre une pinte de bon sang, disons d’abord comment cet amusement de marmaille là a commencé à Liège. Le père de Giles, que tout Outre-Meuse connait, fit la connaissance de Talbot le boiteux, un Français qui vivait depuis longtemps à Liège. Ils tombèrent d’accord ensemble pour créer un théâtre de marionnettes ; mais comme dans toute entreprise on trouve sur-le-champ des gens qui s’avisent d’en faire autant, on vit presque en même temps Marchand en « p’tite Bètch » et « Paily », sur la « Place d’Othée » ouvrir une pareille baraque.
Au commencement, c’était la place où il y avait un manège, où l’on jouait. Quelques planches épaisses, montées sur quatre pieds tirés de fagots et qu’on remisait l’une sur l’autre pendant le jour pour s’en débarrasser, formaient le sièges des « premières », qu’on payait deux sous et demis. Derrière ceux-là, il y avait une rampe servant d’accoudoir : là on restait debout mais on ne payait que deux sous. Alors, sur le faux-grenier qu’on appelait le cava, on y allait pour un sou et demi ; c’est là qu’on faisait le plus de chahut, tout pareil qu’au parterre au théâtre sauf qu’en plus de crier et de hurler, les forcenés se trouvant au-dessus des autres jetaient sur ceux-ci, à travers les fentes du plancher usé, tout ce qui ne leur convenait plus. Il y avait une place qu’on payait comme les premières : c’était sur le lit, où les garnements, remuants comme de vrais diables, faisaient de culbutes et toutes sortes de niches- mais les puces autour d’eux leur faisait payer ça en les mordillant.
Marie-Barbe Conti, à l’entrée, avec sa boutique de poires et de pommes, de tête pressée et de poumon qu’elle vendait à deux centimes la tranche, percevait les entrées.
Les marionnettes, en ce temps là, n’étaient que des morceaux de bois mal dégrossis et affublés de loques ; on voyait jusqu’aux cordons qui les faisaient marcher. Pour toute lumière, il n’y avait que des chandelles de suif à deux pour un patard plantées dans de petits chandeliers en étain ; mais comme les petits garnements étaient attirés-ce qui faisait parfois jurer Charlemagne comme un portefaix-, on mit à leur place des lampions de fer blanc à l’huile grasse avec des mèches qui fumaient comme des cheminées. Mais comme je l’ai dit avant, Conti avait deux rivaux, et pour garder ses clients, il du bien faire quelques changements qui ont tourné à son avantage puisqu’il faisait salle comble à chaque représentation.
On y jouait « Le Déserteur, Geneviève de Brabant, Le Traitre Don Juan, Oursons et Valentin, Les Quatre Fils Aymon » à cheval sur le cheval Bayard qui avait une échine aussi longue et des pattes aussi courtes qu’un lapin.
On ne s’étonne pas d’entendre des fautes de français comme « la vivre lumière », les grands z-héros », etc. On y dit encore des autres, et le dicton a bien raison en disant qu’une once de bonheur vaut mieux qu’une livre de science, car, avec les sornettes à faire dormir debout qu’il débitait, il se fit un joli magot.
A la mort de son père, Giles reprit l’exploitation et je dois dire qu’il dû faire des tours de force magistraux pour arriver là où il est arrivé. Au lieu des petites lampes encrassées, il plaça un gros quinquet à double bec, avec deux abat-jour qui glissent sur une tige de fer. Quand il doit faire clair sur la scène, il lève celui de devant et fait descendre celui de derrière, alors le public est dans le noir ; pour le contraire, il remonte celui de derrière et laisse retomber celui de devant.
Les marionnettes, elles, sont de vraies mécaniques, remuant bras et jambes, balançant leur tête ; les visages ressemblent quelque chose et les habits sont appropriés.
Avant et après chacune des grandes pièces, il donne une séance de plaisanteries. C’est Polichinelle qui a une bosse dans le cou et une autre en bas du ventre, qui vient quand il fait nuit souhaiter le bonjour à tout le monde, en ôtant son chapeau qu’il fait rebondir comme une balle à jouer d’un pied et d’une main sur l’autre puis qu’il rejette sur sa tête aussi adroitement qu’un magicien. C’est Cacafougna, qui fait devenir les enfants tout blêmes de peur qui surgit- le laid grand vilain escogriffe- hors d’un trou fait dans la toile en criant comme un chat duquel on marche sur la patte. C’est le Bon Buveur, qui arrive en titubant, qui boit au goulot d’une bouteille pleine à ras-bord et que l’on voit décliner au fur et à mesure qu’il lève le coude, qui attrape le hoquet tant ça lui goûte bien, puis des haut-le-cœur et qui éclabousse tout le monde de ce qu’il a pris de trop…alors, le corps plus léger mais encore toujours la tête lourde, il s’éclipse en se balançant en zigzag comme un cerf-volant qui n’a plus sa queue.
Mais son chef-d’œuvre fut La Passion : Il ne s’était pas montré regardant pour le représenter le plus fidèlement possible.
Attention ! Ça va commencer. Le grand Toine, un compagnon de Giles vient se mettre sur le côté du théâtre avec une longue baguette d’osier qui sert plus vite à frapper un ou l’autre qu’à renseigner les tableaux.
Toine, expliquant : « Conspiration des juifs ».
Rrran, plan, plan, plan, plan, une armée de cuirassiers à pied et une foule de gens qui n’ont aucune confiance en les paroles du Nazaérien arrivent de tous les côtés jusqu’à tant que le théâtre déborde. Alors, un maître qu’on reconnait à son manteau bordé de fourrure prend la parole : « Soldats, et vous peupe du vrai Diu d’Esraël, je vous fais savoir qu’un vilain posteur qu’est né dans une étape et qui fait des soit-disants mirakes en chassant les démons hors des corpsdes ceuses qui n’en ont point, se dit le fils du Très-Haut et, dé plus, le roi des Jouifs ; souffriez-vous qu’un forgeur de mensonges qui prétend qué les biens des riches appartiennent z’aux pauvres, vienne z’urper les droits de César, notre seigneur et maître ? ».
Toutes les marionnettes font un mouvement de gauche à droite pour dire : non
« Donc, il faut qu’il meure ! »
Toutes les marionnettes, tirées par la tête, retombent trois quatre fois d’une pièce sur leurs pieds pour dire : oui.
« Seublement, i faudrait se saisir adroitement de cet homme et cela z’avant les fêtes de la Pâque, de crante qu’i n’ se faisse un grand tumulte dans le peupe. »
Même chose pour approuver.
Rrrran ! Le batteur bat le roulement, peuple et soldats entrouvrent leurs rangs pour faire place à un pendard roux qui va à côté de celui qui a parlé, tout disant : « què voulez-vous mè donner et je vous l’livrera ?
- Trente deniers », dit le maître
« Tapez-là », répond Judas, car c’était lui.
Rrrran, plan, plan, plan, plan, plan, plan, soldats et bourgeois défilent et le rideau tombe.
Toine : « Jésus avec ses discipes ».
Jésus avec une voix pleine de lassitude, dit à ses apôtres : « En vètité, en vètité, je vous lè dis, lè fils de l’Homme sera trahi par un de ses proches, il sera livré, lié z’et garotté, au prince des prêtres et l’heure dè sacrifice sonnera bientôt. »
Les apôtres se bataillaient pire que des diables dans un bénitier :
« Serait-ce moi, Seigneur, serait-ce moi, Seigneur ?
-Je vous dis, en vèrité, que l’un de vous mè trahira. »
Il répète de nombreuses fois le même message et le rideau tombe.
Toine : « La Sainte Cène. »
Une grande table de cuisine ; Jésus au milieu et six apôtres de chaque coté, ils ont tous la tête sur la table et on penserait qu’ils font leur sièste si Toine n’avait pas dit qu’il disait le bénédicité ; Ils se relèvent et Jésus dit, toujours sur le même ton :
« J’ai z’ardemment désiré de manger cette pâque avesque vous, car ma fin approche et je sera bientôt z’assis à la droite de Dieu, mon père, dans le plus haut des cieux ; mais à seule fin que ce qui est écrit se complisse, l’un de vous autes me trahira et c’est celui-là qui mettra t’avec moi la main z’au plat. »
Bien qu’un homme prévenu en vaille deux, était-ce pour attraper une mouche trop hardie ? Toujours est-il que Judas y fourra ses doigts… Au même moment, un trognon de pomme arrive de la perche qui sert d’accoudoir comme une balle hors d’un fusil, l’attrape à l’estomac et le flanque les quatre fers en l’air, de la même façon que saint Thomas ne peut croire à une telle méchanceté ; alors Judas se redresse et comme les apôtres connaissent tous les jargons, il dit en wallon cru :
« S’il y en a un qui rouspète, je lui fait voler la g….gueule aux quatre coins. »
La cène finit dans une dispute d’enfer, car le grand Toine à reprit le parti de Judas en frappant sur deux ou trois avec une baguette d’osier.
On se tient un peu plus calme.
Toine : « Jésus dans le Jardin des Olives. »
Jésus arrive lentement avec saint Pierre, sint Jacques et saint Jean et leur dit :
« Restez t’ici et veillez pendant que j’ira prier, car celui qui doit me trahir n’est pas loin de céans. »
Saint Pierre, qui répond pour lui et pour les autres :
« Maître, comptez sur nous.
- Mes chers discipes, je sera cette nuit un sujet de scan’dale pour vous. »
Saint Pierre tout étonné :
« Quand vous sèriez un sujet de scan’dale pour tous les autres, vous ne le serez pas pour moi.
- En vérité, en vérité, je vous lè dis, avant que le coq chante vous m’aurez rènié trois fois. »
Saint Pierre ne dit plus mot, mais on voit bien qu’il n’est pas content .
La nuit tombe avec l’abat-jour, Jésus veut aller prier, mais Judas vient à pas de loup avec des soldats, il s’approche de son maître et l’embrasse comme un traître qu’il est, c’était le nœud de l’affaire, on empoigne Jésus ; saint Pierre veut se mettre entre les deux mais on le bouscule et le rideau tombe sur cela.
Toine : « Jésus devant Caïphe. »
Caïphe demande quoi et comme à Jésus, qui ne répond pas, malgré qu’on lui lance des injures.
Un cuirassier dit à saint Pierre qui joue à la risponète derrière les autres :
« Vous étiez t’avec cet homme, vous ! »
Sint Pierre en bégayant :
« Je…je n’ai pas l’honneur de l’connaite. »
Un bourgeois qui a entendu leur dialogue dit :
« I m’sembe pourtant què j’ vous a vu dans sa compagnie ! »
Saint Pierre fumant de colère :
« Ça n’est pas vrai ! »
Et sur le temps que Caïphe interpelle toujours Jésus inutilement, un troisième dit sans hésiter :
« Je vous a vu, moi. »
Saint Pierre tout hors de lui :
« Vous ave contre-m… »
Cocorrico!
Alors voyant que son maître avait dit vrai, il part la tête basse en pleurant et en se donnant des coups de poing à l’estomac et Caïphe dit aux soldats en montrant Jésus :
« Qu’on le mène à Pilate. »
Toine : « Jésus devant Ponce-Pilate, sa flaguellation. »
Pilate, assis dans une chaise de poupée, demande à Jésus :
« Etes-vous le roi des jouifs ?
- Vous le dites.
- Etes-vous le fils de Dieu ?
- Vous l’avez dit. »
Toutes les marionnettes :
« I blasphème, i mérite la mort. »
Alors Pilate se lève et porte à son cul la chaise qui est trop étroite pour son fessard ce qui fait rire quelques enfants que le grand Toine ramène à la raison avec sa baguette d’osier.
Pilate : Soldats romains et vous, Jouifs, je dois vous dire que je n’vois rien de criminél dans cet homme. »
Les soldats : « Il dit qu’il est roi et c’est César qu’est roi. »
Le peuple : « Il dit qu’il est fils de Dieu, c’est un vilain posteur ; à la mort ! »
Pilate : « Je puis, t’à l’occasion des fêtes de Pâques, faire grâce à un assazin, j’envoie donc celui-ci z’en liberté. »
Tout d’un coup : « Non,non ;délîvrez Barabas et cruçifiez Jésus. »
Pilate se fait apporter de l’eau dans un petit plat de barbier et se lave les mains.
Alors, tous ces enragés tirent Jésus en tous sens, le frappent à grand coups, lui crachent au visage, on lui met une couronne d’épines et on l’emmène.
Toine : « Cinq minutes d’entrake pour le sangement de décors. »
La marmaille profite de ce moment pour s’en donner aux friandises :
« Marie-Barbe, des pommes pour deux sous ! Marie-Barbe, une tranche de « marche-tout-seul » ! Marie-Barbe ci, Marie-Barbe là… »
Elle ne sait où donner de la tête ; un petit vilain, qui sera probablement pendu à saint Giles quand il aura l’âge, lui a de plus fait passer une veille pièce pour de la monnaie… Si elle savait qui c’est ! Si elle le tenait, elle s’assoirait dessus pour l’étouffer.
Enfin ces cinq minutes passent à crier, à s’engueuler et à mettre le désordre.
Toine, criant : « Est-ce tout ? Veut-on se taire ? »
Voyant qu’on est un peu plus calme :
« Le passage de Jèsus portant sa croix . »
Le batteur joie comme à l’enterrement d’un pompier, rrran, plan, plan, plan,plan, rrran plan, plan, rrran, plan, plan.
Toine : « Chapeau bas ! »
Regardant par-dessus et par-dessous, d’une voix rude : « Chapeau bas ! »
Un gamin crie : « J’ai mis ma casquette, moi . »
Toine : « Défait-le. » ( Poussant sa tête dans le théâtre) : « Ne fait pas toujours venir le bon Dieu, Giles, il y a encore sur la rampe et à l’entrée de la cave certains de la race des brigands qui ont leur casquette sur leur tête. »
Rrrran, plan, plan, plan, plan, rrran, plan, plan.
Toine : « Alez-vous bouger votre casquette, vauriens, ou je vous piétine le ventre jusqu’à faire sortir le fiel de votre… »
Rrrran, plan, plan, plan, plan.
On voit poindre l’extrémité de la croix.
Toine : « fait retourner le bon Dieu, Giles, il y a encore un là-haut que je dois foutre à la porte… » Pitch ! Patch !
Comme on n’en finirait jamais, on se tient calme et Jésus passe portant sa croix, suivi de sinte Madeleine, une grisette de ce temps-là qui s’est fait bavarde pour racheter ses péchers, d’une ribambelle de vieilles jeunes filles comme celles qui disent le chapelet derrière le baldaquin, qui s’épuisent à pleurer et de quelques soldats qui n’ont cure.
Jésus dit aux femmes :
« Ne plurez pas, files de Jérusalem ! »
Puis, parlant à un savetier qui raccommode des sandales sous son auvent :
« Frère, donne-moi z’à boire, car j’ai soif.
- Passe ton chemin, je ne suis pas ton frère et je n’ai pas d’aboire pour toi
- Puisque tu es t’aussi mèchant, tu marcheras plus de mille ans. »
Et au même moment le juif errant retire son pied de la bride de son sabot, jette sa manique sur l’établi de cordonnier qu’il quitte et marche sans jamais reprendre haleine, à tel point qu’on le retrouve à tous les autres tableaux, trottant toujours.
Le rideau tombe pour se relever de suite.
Toine : « Jésus tombe pour la première fois. Sainte Véronique. »
Jésus se traîne, fatigué comme un pauvre, arrivé à la moitié de la scène, il tombe ; un nommé Simon, qui revient d’avoir été bêcher, vient l’aider, Jésus se redresse ; alors sinte Véronique prend son mouchoir de poche, essuie la sueur qui baigne son visage et laisse voir, en se retournant vers le public, si on est aujourd’hui parvenu à faire de la photographie sur papier, qu’on ne doit pas trop se vanter, puisqu’on en faisait déjà en ce temps-là sur du tissu et cela sans lanterne-magique.
Jésus tombe encore une deuxième et une troisième fois, mais comme c’est toujpours de la même manière, nous passerons là-dessus.
Toine : « Le calvaire, cruçifiement de N.S.J.-C. »
« Chapeau bas ! Une fois pour toutes qu’on ne me le fasse plus dire ou on valsera par la peau du dos à la porte. »
Le rideau se lève ; le théâtre représente un haut monticule de terre jaune, au premier plan, à main gauche, un cavalier avec un manteau rouge et un gran plumet sur la tête, regarde défiler, comme le valeureux général de notre garde civique, ses soldats qui marchent clopin-clopant.
Rrrran, plan, plan, plan, plan, plan, plan.
Le batteur change de batterie : rrran, plan, plan, plan, plan, rrran, plan, plan, Jésus arrive toujours par la droite, ployant sous le fardeau qu’on lui fait porter et risquant à chaque fois de tomber tant il trébuche. Roulement de tambour, tout le monde fait une pause.
Le grand maître tend les bras, on retire la croix des épaules de Jésus, les soldats arrachent les vêtements de son corps, avec la main de Giles, qu’on voit vraiment trop fort, et les jette à la volée ; la foule qui vient de tous côtés empêche de voir la suite.
Nouveau roulement. Tout d’un coup, sur le monticule qui est au fond on retire trois croix au moyen d’une sorte de palan et on voit Jésus entre les deux larrons ; celui qui est à droite reste calme et à l’air de se repentir mais l’autre Bodard s’agite comme un qui est assis sur des orties.
Alors Jésus parle :
« Mon père, pardonnez-leur, car ils ne safent pas ce qu’ils font ! »
Il laisse tomber la tête sur son épaule droite ; puis tout la relevant : « J’ai soif… »
Alors un fantassin prussien lui tend, sur une longue perche, une éponge trempée dans le fiel de bœuf.
A cette puanteur là, il tourne la tête sur le côté en disant :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi est-ce que vous m’abandonnez ? »
Il laisse tomber sa tête sur son estomac en gémissant.
Un autre casqué, qui perdait patience, lui donne un coup de lance sous le sein. Giles veut lancer un cri comme Jésus à fait pour rendre l’âme, mais sûrement qu’il avale sa chique, il s’enroue et tousse comme un vieux renard ; mais aussi rusé que celui-ci, il fait passer cela au bleu en nous éblouissant avec des éclairs qu’il fait en brûlant de la poudre de lycopode tout en frappant sur une vieille platine de four pour imiter les coups de tonnerre… Crac, crac, crac, boum ! roudoudoudoudoum ;
Le rideau tombe la dessus et Giles tousse toujours.
Toine : « Rèsurection de Notre Sauveur. »
Le théâtre représente l’arrière du monticule d’avant qui de ce côté-là qui est fort de guingois ; au pied, une espèce de trappe à rats sert de tombeau ; quatre soldats, deux d’entre eux jouent aux dés sur une pierre platte, l’argent qu’ils ont retiré de la vente de la tunique sans couture de Jésus ; les deux autres, qui sont sûrement déjà fauchés, sont de faction.
Tout d’un coup, les petites portes de la trappe s’ouvrent, étendant ces deux ci comme des grenouilles et écrasant les deux autres comme des taupes.
Alors Jésus monte au ciel en tenant dans sa main droite une croix qui ressemble au bâton courbé sur lequel les gamins font revenir les pierrots et les moineaux ; Giles brûle le reste de sa poudre de lycopode jusqu’à ce que la scène soit à feu et à flamme et le grand Toine applaudit tout en priant la compagnie d’en faire autant. Le rideau tombe. « Ceci c’est pour avoir l’honneur de r’merci le public ; s’il est content z’et santisfait, qu’il veulle bien z’en faire part à ses amis et conances. »
Je profite de la leçon de Giles pour faire la même recommandation à mes lecteurs.
Mais il semble qu’au début du XIXème siècle, on attribua souvent de manière erronée l’origine de la marionnette liégeoise à ce Sicilien (en réalité Toscan) nommé Conti qui établit en Outremeuse un théâtre de marionnettes de type sicilien ou marionnettes à tringle unique en 1854. Cette fausse paternité vit le jour après la guerre 40 donnant vérité à un roman de Dieudonné Salm : « Li Houlo(t) » (le cadet) car nul ne sait réellement d’où proviennent ces marionnettes. Ce qui est certain c’est que d’après d’autres écrits on retrouve des traces des marionnettes liégeoises avant l’arrivée de ce fameux Conti. Certains journalistes, ayant enquêté sur le sujet tels qu’Alexis Deitz ou Auguste Hock, parlent d’un premier théâtre sédentaire avec ce type de marionnettes en 1826 dans le quartier d’Outremeuse.
Dans ces théâtres, on jouait tous les écrits populaires du XIXème siècle. En particulier les romans de chevalerie de la « collection Bleue » des éditions Larousse, mettant le plus souvent en prose, les chansons de geste du Moyen Âge liées au preu Charlemagne. Dans les entre-scènes intervenait un personnage que l’on avait nommé Tchantchès. Le public liégeois, surtout dans les milieux ouvriers, réclama à corps et à cris tant et si bien que de l’entre-scène il entra dans les scènes et devint contemporain de Charlemagne. Et comme à l’époque certains romantiques voulaient absolument faire naître Charlemagne en région liégeoise, Tchantchès n’eut vraiment pas à se déplacer beaucoup pour rencontrer le grand personnage.